Retour sur le Titanic Fillon
Il y aura toujours des gogos pour défendre le député de la Sarthe au motif qu’il serait catho
et vaguement de droite. Certes, le Canard Enchainé détonateur du scandale roule
pour la gauche depuis des lustres – un fait incontestable de la Vème. Le
volatile stipendié s’est toujours fait le relai des
intrigues et coups bas ourdis par la rue de Solferino. Néanmoins, l’examen des
faits bruts s’impose pour comprendre l’affaire qui a bousculé la Présidentielle
2017 : le faux dévot Fillon n’en sort pas indemne.
Les faits
Fillon a salarié son épouse Penelope comme attachée parlementaire à plusieurs reprises, par tranches : entre 1986 et 1990, puis entre 1998 et 2002. Quand le pilote automobile rejoint le gouvernement, son suppléant (un dénommé Marc Joulaud) prend aimablement le relai entre 2002 et 2007, pour un montant proche de six mille euros par mois. Enfin l’infatigable Pénélope sera à nouveau salariée entre 2012 et 2013 par le Sarthois, qui cesse d’employer sa femme en 2013, précisément lorsque le vote de la loi sur la transparence de la vie politique (initiée après l'affaire Cahuzac) contraint les élus à déclarer les activités de leur conjointe. Le problème ici ? Depuis des années, au cours de multiples interviews, Pénélope répète qu’elle se tient à l’écart de la vie politique et qu’elle ne travaille pas. Citons entre autres ceci : "Je n'ai jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre. Je ne m'occupe pas non plus de sa communication (Sunday Telegraph, Mai 2007). Embaucher un membre de sa famille n’est pas illégal, ce que répète Fillon en boucles pour sa défense, sauf si celui ou celle-ci ne déploie manifestement aucun travail réel. Le salaire mirobolant de Pénélope – trois fois le montant moyen d’un assistant à l’Assemblée – exige par surcroit la production de preuves circonstanciées. Et prouver qu’on travaille, c’est à la portée de tous : mails, courriers, actes de présence, etc. Or là, rien : aucun témoignage probant, pas de badge à l’Assemblée Nationale, pas de traces convaincantes d’activité, de correspondances, ahurissement de tous, y compris dans la Sarthe, et la permanence du Député Fillon inclus. Avec logique, le parquet financier - créé par la Guyannaise grimaçante Taubira - ouvre alors une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel. Même si cette instance est probablement orientée à gauche, elle est composé d’une quinzaine de magistrats et a accompli, il est vrai, un travail intéressant depuis sa création, notamment en pointant les mensonges de l’algérienne Benguigui, éphémère ministre beur de la Francophonie – condamnée en appel en septembre 2016 pour déclaration mensongère de patrimoine. Dans un premier temps Fillon applaudit à tout rompre l’initiative sensée le blanchir, et fait porter par le fils Levy - son avocat est le descendant direct du milliardaire à la chemise ouverte - des « pièces » prouvant le travail réel de son épouse, sous le feu des caméras convoquées opportunément. Quinze jours plus tard, le même Levy, et son client Fillon, accusent la dite instance de forfaiture. Etrange ! En réalité, il semble assez plausible que le clan Fillon s’avère incapable de produire la moindre preuve tangible de travail, hormis des contrats d’embauche ne signifiant rien en soi, et qu’il redoute d’ores et déjà des poursuites. Mais l’affaire se mâtine d’un parfum d’escroquerie en bande organisée avec l’emploi de deux des enfants du couple, pourtant encore étudiants. Marie, âgée de 23 ans, est salariée durant 15 mois, de 2005 jusqu'au 31 décembre 2006, à 3373 euros, puis 3814 euros bruts par mois. Pourtant, la stakhanoviste Marie suit des études de droit et effectue au même moment un stage dans un cabinet d'avocats ! Cette demoiselle est un véritable bourreau de travail, on en conviendra. En janvier 2007, le fils Charles lui succède. Simple étudiant de 22 ans, il est encore mieux payé que sa sœur : 4846 euros mensuels, soit le salaire d’un cadre de l’industrie avec vingt ans d’ancienneté. François l’Embrouille et sa femme Odette Publique (surnoms des deux sur Internet) dira que la studieuse Marie l'a aidé à préparer un livre – fort bien, mais pourquoi le contribuable devrait-il participer à l’élaboration d’un ouvrage dont les droits vont par essence dans les poches de son auteur ? Charles a, lui, travaillé à la préparation de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007, selon son père. Cette explication hâtive se révèle fâcheuse car elle peut s'apparenter à un financement illégal de campagne électorale : le papa généreux change de version une semaine plus tard et parle d’une mission floue de « consultant ».
Mais le plus grave constitué
par un faux emploi quasi manifeste : de mai 2012 à décembre 2013, Penelope
Fillon a été salariée pour un montant global de cent mille euros environ par la
"Revue des Deux Mondes", comme « conseillère littéraire ». En
20 mois, elle n'a rédigé que deux brèves notes de lecture, sous pseudonyme,
pour un consistant 5000 euros par mois ! Cadeau Bonux :
l'épouse
de François Fillon cumule de facto deux
emplois à plein temps, puisqu'elle est aussi, à ce moment, rémunérée comme assistante
parlementaire par le suppléant compréhensif Joulaud. Marc Ladreit de
Lacharrière, PDG de la revue, soutient qu'il a confié à l'épouse de François
Fillon une "réflexion stratégique
informelle" (sic) sur l'avenir de la presse. Si nous comprenons bien
donc, une revue confidentielle dont le chiffre d’affaire est probablement
inférieur à deux cent mille euros par an (tirage très réduit) salarie à hauteur
de la moitié de son chiffre d’affaire total, voire plus, une dame qui se
proclame elle-même femme d’intérieur – sa mission étant de prodiguer de
mystérieux conseils.
Est-ce fini ? Pas du tout ! Deux juges
d'instruction enquêtent depuis 2013 sur des soupçons de détournement de fonds
publics liés au Sénat. Six personnes sont déjà mises en examen dans ce
dossier. Or le sénateur François Fillon (il l’a été 21 mois avant d’être nommé
Premier Ministre) aurait perçu – en plus de son salaire - sept chèques entre
2005 et 2007 pour un montant total 21 000 euros. Pas mal pour un élu qui a fait
acte de présence moins d’un jour par mois, selon le propre site du Sénat, et
qui n’a posé aucune question écrite ou orale, ni déposé aucun amendement durant
sa mandature.
Continuons : un député ne doit pas exercer des
activités de conseil, ceci afin d'éviter le trafic d'influence ou la collusion
d’intérêts - excepté si le parlementaire exerçait cette activité avant d'être
élu. François Fillon, élu député le 17 juin 2012 a créé sa société « 2F
Conseil » le 6 juin… Quelle préscience ! D'où viennent les centaines
de milliers d'euros que rapporte la dite société ? Lors de sa conférence de
presse du 4 février, François Fillon cite ses clients : "L'assureur Axa, la société Fimalac et la banque
Oddo ».
Comme par hasard les dirigeants de cette clientèle prestigieuse sont tous des proches de l’ancien
Premier Ministre. Entre 2012 et 2015, « 2F Conseil » a assuré un
revenu complémentaire mensuel moyen de 17 600 euros au cumulard François, qui
par ailleurs utilisait des Falcon de la République pour rentrer dans la Sarthe
chaque week-end, quand un billet de train pour le Mans coûte cinquante euro.
Et puis, par delà ces faits cumulés consternants, il y a aussi le train de vie délirant de ces
nababs, payé sur nos impôts… Premier
ministre, Fillon s'était attribué une Citroën C6 blindée au Kevlar pour un coût
de 120 000 euros. Depuis son départ de Matignon, il a bénéficié d'une dotation
publique de 86 140 euros. Au titre de la seule année 2014, l'État a dépensé 54
717 euros pour lui rémunérer un assistant, et 12 167 euros pour lui fournir un
chauffeur. Quant au frais d'entretien de sa voiture de fonction, l'Etat a
déboursé en 2014 (on ne connaît pas encore 2015 et 2016) 4 452 euros, ainsi que
14 263 euros de carburant et 541 euros d'assurance.
Résumons : il est des paroissiens confits en dévotion le dimanche, et insatiables noceurs en semaine. Nous avons affaire ici, selon toute vraisemblance, à un spécimen de cet ordre, imbu de lui-même, certain d’agir en toute impunité car naviguant en eaux troubles, comme ses congénères. On peut objecter ceci : la plupart des hommes politiques ayant mis la main dans le pot de confiture (ils se sont tous gobergés sur le dos des cocus de votants depuis des décennies) le crime doit se relativiser à l’aune de la démocrassouille. Non. Le système de vote par acclamation est vicié. Les errances du suffrage universel, système qui a les atours séduisants de la virginité, et les moeurs corrompues de la putain, ne peuvent être acceptés comme telles.
Faillite personelle de Fillon
L’apparent dévot a
réussi l’exploit de ne pas même figurer au second tour. Son obstination à se raccrocher coûte que coûte à une candidature
plombée par une conduite hasardeuse, tel Bernique sur son rocher,
aura eu un coût : dynamiter l’élection en la rendant confuse, puis empêcher
l’alternance après le quinquennat consternant de l’homme au scooter. Fillon aura
contribué au futur sacre d’un homme de gauche ami des banquiers, quant aux
Républicains, incapables de le stopper, ils n’ont désormais plus que leurs yeux
pour pleurer.
Fillon présentait
pourtant un programme économique dense, avec des perspectives sérieuses de
réduction des déficits. La France emploie 35 % de fonctionnaires de plus que la
moyenne européenne, par exemple, et l’amaigrissement s’imposerait en première
intention, d’autant que les gains de productivité liés à l’informatique n’ont
jamais été pris en compte par l’Etat obèse.
A ce titre, le candidat de la droite classique – mais son aide de camp
Bruno Retailleau provient de chez Philippe de Villiers - aura séduit jusqu’à
certains membres de la droite nationale, pour la première fois dans toute
l’histoire de la Vème république : Henry de Lesquen avait par exemple
appelé à voter Fillon ; l’appel du « capitaine courageux » de Radio
Courtoisie aura connu un écho notable, tout comme le soutien déclaré des
membres de « Sens Commun » (ex-Manif
pour tous). On note toutefois
qu’Alain Juppé fit aussitôt savoir qu’en cas de gouvernance avec des membres de
ce mouvement honni, il rejoindrait l’opposition - indication supplémentaire de
ses inclinaisons douteuses vers le centre gauche. Le retraité Bruno Mégret
avait indiqué lui aussi voter pour Fillon, suivi peu après par le mouvement
créé jadis par lui, le MNR, et précédé par le Président du mouvement libéral
l’ALEPS, Patrick Simon. Ces ralliements s’expliquent : le programme
Brejnevien du gourou Philippot ne poussait pas au vote FN, pas plus que la campagne confuse de 2017 conçue
par notre génie des Carpates, copie carbone de celle de 2012. La victoire à la
Pyrrhus de dimanche n’y change rien, Marine Le Pen sera battue par Macron, au
terme d’un parcours terne. Le choix à droite se réduisait donc à peau de
chagrin, le marginal Dupont Aignan n’ayant pas la moindre chance - il aura
d’ailleurs contribué à l’échec de Fillon par sa sotte présence. Pour peu qu’on
admette les règles de poker menteur du suffrage universel, la priorité étant
d’éloigner le vote de gauche (qui est le fait de personnes déséquilibrées ou
aigries) le bulletin Fillon semblait par conséquent aller de soi.
Alors pourquoi cette défaite
cuisante ? Il y a plusieurs raisons.
1 / Fillon n’a
cessé de brandir comme sceptre son score écrasant aux primaires, lui donnant
toute la légitimité nécessaire. Certes, on concède que cette victoire fut sans
appel, mais elle relève d’un sophisme : il ne fait aucun doute que les
électeurs de droite, s’ils avaient connus les accusations sévères entravant de facto son envol, l’auraient placé loin
derrière Juppé et Sarkozy.
2 / Les ânes qui
ont conçu le mécanisme des primaires à droite ont oublié de prévoir une
procédure d’empeachment !
Résultat : lorsque le roi Midas Fillon s’est transformé en Gribouille sous
leurs yeux, les caciques des LR n’ont disposé d’aucun moyen légal pour le
destituer, ni pour recouvrer les importants fonds versés en vue de la
campagne ! S’il était évident, dès après les révélations des Canard Enchainé et autres Médiapart, que Fillon ne pourrait plus
mener une campagne normale, nul chez ses amis n’a jamais pu le convaincre de
partir – sans doute parce que c’eût été pour cet orgueilleux la reconnaissance
implicite de ses péchés. Aucun dispositif légal n’a été en mesure, au fond, d’empêcher
la catastrophe du 23 Avril, et les passagers du Titanic LR/ UDI ont assistés à
l’arrivée de l’iceberg dans un mélange résigné d’impuissance et de mélancolie,
beaucoup ne faisant même plus campagne. Le battu Sarkozy, notamment, a brillé
par son absence. Le candidat officiel LR/UDI, isolé, harcelé par les
journalistes, dans l’incapacité d’aller vers les français sans recevoir lazzis,
enfarinades, ou concert de casseroles, aurait dû se démettre dès janvier :
l’honneur d’un homme c’est de se sacrifier pour une cause plus grande que
lui-même ; il n’a pas souscrit à cette loi d’airain, malgré sa promesse de
renoncer en cas de mise en examen.
3 / « Ils sont beaucoup qui ont flatté le peuple sans l'aimer. » (William
Shakespeare). Depuis trente-cinq ans la France vit en
empruntant, sans jamais engager les réformes qui s’imposeraient. Les candidats
élus à la présidentielle ont tous un point commun : ces cyniques
promettent la semaine des quatre jeudis et
assurent par avance qu’il n’y aura aucun réforme douloureuse, notamment
sur le sujet du sacro-saint « service public », divinité qu’il est
impossible de critiquer, fût-ce à mots couverts. Environ cinq millions de
Français travaillent directement ou indirectement pour l’Etat, et deux millions
vivent d’allocations diverses, d’où le vote pour l’assistanat à crédit via les
multiples candidats proto-marxistes. Le programme assez courageux de Fillon sur
la Sécurité Sociale ou l’alignement des régimes de retraites manquait pour le
moins de la démagogie habituelle – celle qui assure la victoire dans la Sainte
Urne.
4 / La défense de l’intéressé, changeante, floue, a
dérivé jusqu’à une mauvaise foi manifeste. Au final, ses contre-arguments se sont
réduits à deux concepts : le sombre complot venant de l’Elysée, et la
non-faute. L’antienne « Mes amis, on
veut nous faire taire ! », tout comme l’évocation d’un improbable
cabinet noir, tendaient à suggérer
une cabbale ourdie contre la droite par les spahis Hollandais. Philippe
Ploncard d’Assac, autre soutien inattendu de Fillon, et souvent prompt à
diagnostiquer des complots, a également soutenu cette thèse. Acceptons-là pour
telle : et alors ? L’accusé eût-il produit des preuves du travail
effectif de son épouse qu’il était débarrassé dans l’instant des charges pesant
sur lui et réduisait à néant les fameuses intrigues
visant à sa perte. C’est précisément parce ce qu’il a été incapable de
démonter les accusations de ses contempteurs que Fillon a chuté ; cabinet
noir ou pas, des preuves du travail de Pénélope stoppaient dans l’œuf les
poursuites. Quant à sa complainte abondamment
conjuguée et répétée en meetings « on
me reproche d’avoir fait travailler ma femme et mes enfants », elle relève
du mensonge et de l’argutie : il est légal d’employer des proches au
Parlement. C’est la nature fictive du travail de Pénélope Fillon qui a retenu l’attention
des juges, d’autant que la dame n’a cessé de clamer se tenir loin de la
politique, depuis toujours. On peut travailler avec ses proches – le charcutier
comme le boulanger en sont coutumiers – il est en revanche abusif de se faire
rémunérer par le contribuable (éternel généreux) pour un travail inexistant.
On concèdera que la plupart des hommes politiques français
ont mis la main dans le pot de confiture depuis des décennies : citons pour mémoire le cas d’Anne Hidalgo, actuelle maire de
Paris, mensualisée des années durant comme inspectrice du travail à temps
plein, première adjointe en charge de l’urbanisme à la mairie, et conseillère
régionale PS ! Il est techniquement impossible de cumuler les trois
fonctions (à noter : dame Anne était par surcroît secrétaire nationale du
PS chargée de la culture). Plusieurs demandes écrites au sujet d’éventuelles
traces de ce travail ont été menées par l’opposition, en vain : il a pourtant
coûté à l’Etat plus de 600 000 euros sur dix ans et permis à notre stakhanoviste
en herbe de recevoir désormais près de 8000 euros par mois en cumulé, à l’âge peu canonique de 52 ans, et ce jusqu’à
son décès !
Malgré ces prébendes à répétition,
gauche et droite confondues, l’électeur cocu reconduit aimablement ceux
qui le plument.
Reste la question... Que va devenir l’étrangleur de Sablé sur Sarthe,
fossoyeur de son camp ? Ses ennuis judiciaires iront à leur terme, la fonction
présidentielle lui échappant. Vu les faits et leur gravité, le procès
retentissant guette. Son avenir politique parait sombre : comme souvent
dans ce domaine, les amis d’hier deviendront les ennemis de demain. Les
courtisans les plus zélés se transformeront en implacables procureurs, et
l’homme finira seul, errant dans les couloirs venteux de son château sarthois,
avec les feuilles de paie de Pénélope pour tout viatique.