FN / Faillite en vue ?
Les pontes du Carré vont ils troquer caviar et blinis pour un modeste saucisse purée ? C’est la question qui se pose crûment après la Bérézina de 2017.
Le parti doit en effet gérer un imprévisible défi : le financement public dont il bénéficiait jusqu’alors va, contre toute attente, baisser de cinq cent mille euros par an. Le FN a plafonné à 2,99 millions de voix au premier tour des législatives, contre 3,6 millions en 2012. C’est une victoire à la Pyrrhus. Beaucoup y voient l’effet retard du débat du second tour, catastrophe due à deux erreurs majeures : un comportement inadéquat de la candidate, proche de la télé réalité à la NRJ12, et son absurde volonté d’en découdre avec son adversaire sur le terrain économique, où elle ne brille guère.
Revenons en arrière… Le mouvement à la flamme entame l’année 2017 avec un boulet au pied, avant même de chercher un financement pour les présidentielles : un fort endettement de plus de neuf millions d’euros, contracté auprès d’une banque russe en 2014. L’Agence d’assurance des dépôts bancaires russes (ASV) a lancé début janvier 2017 une procédure judiciaire pour obtenir ce remboursement de 9 millions d’euros, accordé au FN en septembre 2014 par la banque tchéco-russe First-Czech-Russian Bank (FCRBC). Cet établissement bancaire opaque appartenait à l’homme d’affaires russe Roman Popov. L’autorité administrative a notamment identifié dans les comptes de la FCRB un trou sans explication comptable de 4,1 milliards de roubles, adjoint à 31,8 milliards de passifs. C’est l’ASV qui se substitue à la banque privée désormais faillitaire, et réclame désormais au FN le remboursement intégral du prêt. Mauvaise nouvelle : cet organisme ne lâchera pas l'affaire et dispose de moyens intenationaux de recouvrement. Il faut savoir que le FN oppose un silence sépulcral à toutes les questions concernant ses états financiers, mais on sait que sa santé pécuniaire est fragile depuis longtemps. Une anecdote vient étayer ce diagnostic : dans une lettre envoyée le 9 juillet 2013 au Crédit agricole, qui sera par la suite rendue publique, le trésorier du parti Wallerand de Saint-Just écrivait déjà : « Le Front national, depuis le mois de septembre 2012, a vu ses dépenses s’accroître sensiblement compte tenu de son développement. En ce mois de juin 2013, en vérité, le Front national redémarre avec un déficit de plusieurs millions d’euros. » Peu après, le 14 novembre 2013, le FN était condamné à rembourser un solde de 6,3 millions d’euros de dettes, majorées de 600 000 euros d’intérêts, à son imprimeur historique Fernand Le Rachinel, ce qui n’a pas dû améliorer la situation. Revenons en 2017. Pour l’incurable optimiste Wallerand, interrogé sur le prêt russe, "il n’y a aucune raison que le contrat bouge" (? ?). Selon lui, la somme réclamé par les amateurs de vodka devra être remboursée dans son intégralité en septembre 2019, le FN ne « payant en attendant que les intérêts ». Cette révélation du trésorier barbu a été peu commentée dans la presse, pourtant elle constitue une incroyable bombe à retardement. Comment traduire en mots simples ce que dit notre comptable en chef ? En 2019 le FN qui, selon les propres paroles de l’expert St Just, n’a payé que les intérêts, ceci soit par mesure conservatoire vu la faillite de l’organisme prêteur, soit parce que son emprunt était dès le départ de nature in fine, va par conséquent devoir trouver d’un seul coup les neuf millions d’euros dans deux ans ! Le Parti ne possède probablement pas une telle somme sur un compte d’épargne, et le seul moyen d’éviter les huissiers consistera alors à noyer le poisson en lançant des procédures contentieuses – fort coûteuses, même si à terme elles réussissaient.
A moi, comptes, deux maux !
Une campagne présidentielle coûte en moyenne entre huit et dix millions d’euros (les quinze millions de Hamon sont un véritable exploit technique). Les candidats qui dépassent 5 % touchent jusqu’à 8 004 225 euros de remboursement public. Les deux finalistes reçoivent chacun jusqu’à 10 691 755 euros.
Dès la fin janvier 2017, pour contrer la disette programmée, le FN lance un premier emprunt auprès de ses sympathisants, à l’occasion des Présidentielles ; après ce premier appel, un autre suit, « l’Emprunt patriotique » pour les législatives. Le nom de domaine pour les législatives a été déposé mi-mars par Paul-Alexandre Martin, gérant de la société E-Politic, et proche de l’incontournable Frédéric Chatillon. Sur ce site internet, le FN vante le « taux particulièrement attractif de 3 % sur douze mois », pour un montant minimal de 1500 euros. Il y a un cadeau inespéré : « Chaque prêteur recevra une lettre de remerciements signée de la main de Marine Le Pen ainsi qu’un certificat nominatif témoignant de la reconnaissance du Front national ». De son côté, le FN prête aux candidats aux législatives qui le souhaitent au taux de 5 % (soit soixante pour cent plus cher que la rémunération que lui-même propose aux aimables prêteurs). Le financement des dépenses de campagne comprend, pour le candidat, l’achat d’un kit de 5500 euros incluant les documents de la campagne officielle, un journal de campagne, la présence sur un site-portail internet et les frais d’expertise comptable… On se contentera ici de citer Démosthène : « Les petites opportunités sont souvent le commencement de grandes aventures ».
Avant de continuer plus avant, examinons donc la situation actuelle de l’endettement du Parti à la flamme. Emprunt russe : 9 millions. Emprunt pour gérer la présidentielle : montant inconnu, mais au moins 2 millions. Emprunt Jeanne (éternel généreux, Jean Marie Le Pen a prêté via la structure « Jeanne » 6 millions). Certes, le contribuable va rembourser tout ou partie des campagnes présidentielles et législatives. Mais encore faudra-t-il que les comptes soient d’équerres : en 2012 par exemple 23 000 euros de petits fours (! !!) avaient été refusé et retoqué par la commission d’agrément des comptes de campagne. Ceci posé, tout n’est pas sombre chez les Frontistes : le parti dispose, en sus de son financement public, de la ressource des cotisations - entre 30 et 250 euros selon la bonne volonté de chaque militant. Les adhésions représentaient une manne annuelle supérieur à un million d’euros avant la prestation surréaliste du second tour – une baisse de ces revenus semble désormais probable. Il y a aussi les ventes de produits dérivés, T. Shirts, assiettes à l’effigie de la Présidente, gris-gris divers, posters, etc. dont on ignore le chiffre d’affaire, mais qui est bien réel. N’oublions pas non plus le bonus de financement public de 43 000 euros par députés élu, soit presque 350 000 euros annuel pour les 8 députés FN. C’est du reste sur ce chapitre que le débat raté aura eu le coût le plus douloureux, une vraie perte sèche pour le FN : avec 40 nouveaux députés, ce qui avant la prestation du débat contre Macron paraissait plausible à de nombreux observateurs, voilà pas loin d’un million huit cent mille euros annuel qui se déversait rue des Suisses pendant cinq ans, soit neuf millions !
Mais d’autres nuages s’amoncèlent. Le Parlement européen soupçonne depuis 2015 les assistants des 23 eurodéputés FN, qui figurent pour nombre d'entre eux à des postes officiels dans l'organigramme du parti, de travailler pour le seul Front national, en étant rémunérés par le budget européen. Des accusations que Marine Le Pen rejette en bloc, y voyant une « vaste manipulation politique », mais qui ont abouti à l'ouverture d’une information judiciaire mi-décembre 2016, pour les chefs d’abus de confiance et recel, escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux, et travail dissimulé. Selon Bruxelles, le préjudice financier s'élèverait au total à 7,5 millions d'euros. Si la procédure judiciaire, puis le jugement, donnaient raison aux commissaires européens, le FN (tout comme le Modem, accusé de pratiques similaires) devrait rembourser la somme susmentionnée, sans compter les pénalités. Des sous de Bruxelles coûteux !
On le voit, sous les dehors rieurs d’une ascension irrésistible – la version officielle régurgitée sur les plateaux TV par les Florian, Steeve et autre Sébastien – les ennuis s’accumulent, la trésorerie est au bord du burn-out, la scoumoune rôde. Les élections de 2017 peuvent se résumer ainsi : explosion en plein vol de la candidate, qui aura du mal à reconquérir ceux qu’elle a déçu, ligne politique Philippot désavouée par les électeurs qui lui ont préféré le vote Mélenchon, désastre financier avec plus de quatre millions de voix perdues entre le deuxième tour de la présidentielle et le premier des législatives. Un maigre bilan, on en conviendra, et un futur sombre.